L’édito de Patrick Boucheron………………(05/10/2017)

Libé des historiens

Déborder le temps

Par Patrick Boucheron — 4 octobre 2017 à 20:56
Patrick Boucheron, mercredi, lors de la conférence de rédaction du Libé des historiens.Zoom
Patrick Boucheron, mercredi, lors de la conférence de rédaction du Libé des historiens. Photo Albert Facelly pour Libération

ÉditoEt si les historiens n’avaient pas réponse à tout, perdraient-ils leur crédit ? Peuvent-ils déjouer les attentes qu’on place dans leur savoir supposément apaisant sans scier la branche sur lesquels ils sont assis ? Ordinairement, les journalistes les appellent à la rescousse dès qu’ils craignent de se laisser déborder par l’énergie de l’événement. Les Catalans veulent leur indépendance, mais la Catalogne n’a-t-elle pas toujours existé ? Ces docteurs Folamour des temps modernes que l’on imagine si prompts à la gâchette nucléaire ne rejouent-ils pas inlassablement la figure néronienne de l’empereur fou ? Bonnes pâtes, les historiens acquiescent poliment, calment les ardeurs des excités de l’actu, prennent du recul, de la hauteur, de la distance, tout ce qu’on voudra pourvu qu’on échappe à la frénésie du présent.

Seulement voilà : faire œuvre d’historien consiste toujours à comprendre en quoi nous différons d’hier, en quoi l’aujourd’hui demeure cet entre-temps incertain où l’avenir n’est pas écrit d’avance. C’est apprendre à défataliser le temps. Face à ceux qui craignent l’affolement de l’histoire, il faut rappeler que la folie a une histoire – y compris celle des criminels qu’on déclare fous pour ne pas voir que leur histoire parle aussi de nous. Sur eux aussi on peut parler, en historiens, et pas seulement sur les sujets que l’on nous assignerait par avance en tant qu’experts en commencements, spécialistes des continuités rassurantes et des identités figées.

Ce Libé des historiens est le lieu d’une révolte contre ce partage des rôles. L’histoire déborde, et c’est tant mieux ; parce qu’elle s’adresse à nos vies présentes, elle fera moins et plus que ce que l’on attend d’elle. Moins : que l’on ne compte plus sur nous pour servir un discours impassible sur ce qu’est ou n’est pas une nation, sur ce que fait ou ne fait pas la déraison, sur ce que peut ou ne peut pas un événement. Car celui-ci nous bouscule, comme tout le monde, et brise dans nos mains les instruments d’analyse que nous pensions les plus solides. Plus : nous ne nous tairons pas pour autant, convaincus que l’on ne risque rien, dans un espace démocratique, à cesser de proférer pour donner en partage nos doutes, nos craintes et nos insuffisances. Nous ne nous laisserons déborder ni par la crainte de la prolifération des discours sur le passé et de l’appropriation politique de ses usages, ni par la rancœur de ne plus savoir les contrôler. Nous jouerons le jeu, loyalement, joyeusement, pour tenter de décrire avec le plus d’exactitude les débordements du temps.

Liberation.fr

 

Publié dans : HISTOIRE |le 5 octobre, 2017 |Pas de Commentaires »

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