La lettre de Laurent Joffrin…………(13/02/2020)

Libération 13 février 2020
Laurent Joffrin
La lettre politique
de Laurent Joffrin

Pénibilité : un gouvernement pénible

Pendant la protestation, les négociations continuent. Les syndicats «réformistes», CFDT en tête, discutent d’arrache-pied pour amender le projet gouvernemental, dont elles acceptent le principe mais contestent vigoureusement les modalités. Les syndicats «radicaux», CGT en tête, exigent toujours, sans grand espoir, le retrait pur et simple du projet. Ce qui débouche sur un paradoxe : au bout du compte, si les choses continuent selon le même scénario, ce sont les organisations les plus modérées qui auront amélioré le sort des retraités tandis que les plus radicales n’auront rien obtenu, sinon la satisfaction de dénigrer les autres centrales. Peut-être un jour le syndicalisme français méditera-t-il sur les avantages respectifs de la négociation et du «tout ou rien» ?

Point essentiel : la pénibilité, question sur laquelle le Medef et le gouvernement sont d’une pénible lenteur. Par ce biais, les «réformistes» cherchent à corriger une des grandes injustices du système actuel. Rappelons-le : il existe une différence d’environ dix années entre l’espérance de vie des classes supérieures et celle des classes pauvres, dixit l’Insee. Les premières vivent en moyenne jusqu’à plus de 80 ans, les secondes autour de 70 ans. Sachant cela, il est clair qu’un système uniforme avantage les unes et pénalise les autres. Le philosophe André Senik, lecteur vigilant de cette lettre (et qui n’est pas de gauche), abonde en ce sens : «Le calcul de l’âge du départ à la retraite, écrit-il, devrait intégrer la donnée bien objectivable qu’est l’espérance de vie, laquelle varie selon les métiers, les catégories sociales et les sexes. Pourquoi alors s’obstine-t-on à substituer le critère de la pénibilité à celui de l’espérance de vie ?» Pourquoi, en effet ?

En attendant cette percée conceptuelle, on discute donc de la «pénibilité», qui reflète imparfaitement les espérances de vie (qui dérivent aussi des conditions générales d’existence hors travail, mais qui en est une composante). La pénibilité a été introduite en France pendant le quinquennat Hollande, selon huit critères, réduits à quatre par le gouvernement Philippe sous la pression du Medef. Les syndicats voudraient les réintroduire et demandent que le nouveau système «compense» la dureté des tâches par un départ plus précoce à la retraite. Le Medef dénonce une «usine à gaz» (il faut mesurer cette pénibilité jour après jour, ce qui oblige les entreprises à remplir des formulaires). Comme toujours, le patronat oppose paperasserie et justice sociale, comme si les deux notions pouvaient s’annuler. Si l’on s’était arrêté à cet argument, on aurait laissé le droit du travail dans l’état où il se trouvait au XIXe siècle. Même indirecte et imparfaite, la mesure de la pénibilité tend néanmoins à pallier la disparité des espérances de vie. C’est un point-clé, sur lequel l’opinion devrait se concentrer autant que sur la poursuite de la protestation. Il ne suffit pas de lutter : il faut aussi obtenir des avancées.

LAURENT JOFFRIN
 
Publié dans : Politique |le 13 février, 2020 |Pas de Commentaires »

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