Le concept de « laïcité positive » ouvre une brèche dans le pacte républicain»
Jean-Michel Quillardet, grand maître du Grand Orient de France.
Recueilli par CATHERINE COROLLER
QUOTIDIEN : vendredi 4 janvier 2008
Jean-Michel Quillardet est le grand maître du Grand Orient de France (GOF), qui se présente comme «la première obédience maçonnique française» avec 50 000 adhérents. Le GOF s’est récemment «inquiété» dans un communiqué des propos tenus par Nicolas Sarkozy le 20 décembre lors de sa visite au Vatican, lui reprochant sa «volonté de présenter le fait religieux comme constitutif de l’identité politique et citoyenne, ce qui pourrait entraîner une sérieuse inflexion du modèle républicain français». Jean-Michel Quillardet s’explique.
Qu’est-ce qui vous choque dans les propos de Nicolas Sarkozy ?
Ce concept de «laïcité positive», qui veut que les religions soient désormais considérées comme un atout et qu’il faille rechercher un dialogue avec elles, ouvre une brèche inquiétante dans le pacte républicain et laïc. C’est la première fois qu’un président de la République affiche cette nouvelle conception des rapports entre l’Etat et la religion.
Dans une société aussi matérialiste que la nôtre, n’y a-t-il pas chez les gens un besoin de sens qui doit être pris en compte ?
La quête de sens ne passe pas nécessairement par les religions. Cela me choque quand Nicolas Sarkozy dit que «la morale laïque risque toujours de s’épuiser ou de se changer en fanatisme lorsqu’elle n’est pas associée à une aspiration qui comble l’aspiration à l’infini». Derrière ça, il y a une idéologie très américaine.
Les positions de Sarkozy sont connues, il les avait exprimées dans la République, les Religions, l’Espérance (éd. Cerf, 2004)…
Pendant la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy a été plus en retrait sur la modification de la loi de 1905, sur la séparation des Eglises et de l’Etat, et le rapport Machelon [commandé par Sarkozy, il préconisait un toilettage de ce texte, ndlr]. Là, nous sentons que quelque chose se prépare.
Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?
Michèle Alliot-Marie nous a reçus le 3 décembre, elle nous a dit que, dans le rapport Machelon, «il y a quelques idées intéressantes». Elle regarde s’il est possible de faire passer les associations du statut cultuel, interdisant tout subventionnement public, au statut culturel, l’autorisant. Jean-Pierre Raffarin a aussi déclaré dans une interview au Figaro qu’«il faudra compléter la loi de 1905».Nous avons demandé un rendez-vous au président de la République, on verra bien s’il nous reçoit.
Vous êtes opposés à toute modification de la loi de 1905, mais alors comment aider les musulmans à combler leur retard en lieux de culte ?
Les deux premiers articles, aux termes desquels «l’Etat ne reconnaît ni ne salarie aucun culte», et «l’exercice des cultes est libre»,ne sont pas modifiables. Mais nous ne sommes pas hostiles aux baux emphytéotiques, de très longue durée, ni à la création de la Fondation pour les œuvres de l’islam [créée le 16 octobre, elle est notamment destinée à financer la construction de mosquées].
A part le Grand Orient de France, peu de groupes constitués se sont insurgés contre les propos tenus par le président de la République…
François Bayrou, qui a estimé que le concept de «laïcité positive» avancé par Nicolas Sarkozy «remet en cause la conception de la laïcité républicaine» et favorise un retour à la religion «opium du peuple», ainsi que François Hollande, ont protesté.