L’affaire du plutonium de Cadarache suscite de violentes polémiques. Voici la vraie histoire. Elle dégonfle le bulle médiatique, et pose la question de l’attitude de l’Autorité de sûreté nucléaire.
L’Atelier de technologie plutonium (ATPu) du centre du Commissariat à l’énergie atomique de Cadarache fait partie de ses plus anciennes installations. Elle affiche 40 ans au compteur, et, dès 1998, l’Autorité de Sûreté Nucléaire avait demandé au propriétaire (CEA) et à l’exploitant (Areva) d’en organiser la fin de vie et le démantèlement. Ces derniers ont obtempéré… lentement.
C’est là qu’on été fabriqués les premiers combustibles au plutonium. Soit pour les réacteurs à neutrons rapides (Phénix, Superphénix). Soit, à partir de 1992, pour les MOX (mélange d’uranium et plutonium) mis dans les réacteurs à neutrons lents d’EDF, avant que l’usine Melox de Marcoule, très automatisée, ne prenne le relais en 1995. Son exploitation commerciale s’est terminée en 2003, lorsque Melox a pu assurer toute la production à elle seule. Puis, en 2004, s’y est déroulée une ultime opération – plutonium for peace – par laquelle Areva a démontré au gouvernement américain qu’il était possible de transformer leur plutonium militaire excédentaire – issu du démantèlement des armes nucléaires en raison des accords avec la Russie – en combustibles pour leurs centrales nucléaires.
Dans cet atelier, la fabrication des pastilles – l’élément de base du combustible nucléaire qui est ensuite assemblé en « crayons », puis ces derniers glissés dans des gaines elles-mêmes réunies en un assemblage – se faisait « à la main ». Plus exactement dans des « boites à gants ». Des sortes d’aquarium, de deux à quatre mètres de côté, dans lequels les opérations sont réalisées à l’aide de gants fixés aux parois.
Quelles opérations ? Les techniciens y introduisaient des poudres d’uranium et de plutonium, qu’il fallait ensuite mélanger, compacter, cuire pour obtenir les fameuses pastilles. Dès lors, chacun savait que de petites quantités de poudres, invisibles à l’oeil car très diluées sur les parois, où cachées dans des recoins de la boite ou sous des équipements, allaient nécessairement échapper à la comptabilité.
Car comptabilité il y avait… Puisque toutes ces matières nucléaires (on ne parle que de plutonium mais il y a en réalité plus d’uranium…) sont pesées avant et après opérations dans la boite à gants. Sauf que cette mesure s’effectuait… au gramme près. Donc toute perte inférieure à cet ordre de grandeur, un chouia de poudre, laissée dans la boite, disparaissait de la comptabilité.
Le processus s’est étalé sur des dizaines d’années, et environ 450 boites à gants… et 350 tonnes de combustibles produits. En conséquence, raconte Henri Maubert, ex-responsable de la radioprotection de l’Atelier «lorsque l’Atelier a été fermé à l’exploitation en 2004, nous savions que nous allions trouver un peu de plutonium et d’uranium dans les boites à gants quand nous allions les ouvrir, les casser, et les démanteler de manière définitive».
A partir de 2004, l’Atelier est petit à petit vidé de toutes ses matières nucléaires (combustibles ratés, rebuts…). puis, en 2008, les opérateurs s’attaquent aux 400 boites à gants. Ils travaillent dans une cellule spéciale, confinée, en scaphandre et avec un masque respiratoire. Il faut dire que «le niveau de radioprotection et les consignes de sécurités sont les mêmes que lors de l’exploitation de l’atelier», précise Maubert, donc très surdimensionnés relativement à ce qui reste.
C’est là qu’ils ont une surprise. Dans certaines boites à gants, les résidus de poudres d’uranium et de plutonium sont plus abondantes que prévu. Combien ? «Au maximum de ce que l’on a trouvé, 1 kg plutonium dans une boite», précise Maubert. Cela semble beaucoup, mais le plutonium, c’est dense et lourd… cela ne représente qu’un verre de cantine d’oxyde de plutonium et d’uranium au maximum par boite. Il y en a en très faibles quantités dans la plupart, et l’essentiel dans une quarantaine de boites, celles où le plutonium et l’uranium étaient sous forme de poudres.
Lorsqu’ils découvrent le pot aux roses, en juin dernier, les techniciens du CEA en avertissent les responsables. Puis, le 11 juin, une équipe de l’ASN passe à Cadarache pour préparer une visite d’Euratom. Les responsables du centre communiquent l’information à l’ASN à cette occasion, mais décident de ne pas la formaliser par écrit en attendant d’avoir démantelé plus de boites à gants afin de fournir une estimation du total plus précise. En outre, le 1er juillet, ils donnent la même information aux inspecteurs de l’IRSN qui sont là à la demande du Haut fonctionnaire de défense. Ils pensent ainsi agir correctement. Erreur…
Après avoir démantelé 40% des boites à gants, ils refont leurs calculs, et estiment alors que, sur les 400 boites, ils vont se retrouver avec un maximum de 39 kg de plutonium dans le mélange de poudres. Le 6 octobre, ils font alors une déclaration écrite d’incident à l’ASN avec cette nouvelle estimation.
Puis, coup de tonnerre ! Le communiqué de l’ASN tombe hier, décrétant l’arrêt de toutes les opérations de démantèlement. Et, surtout, évoquant des risques de «criticité», lors de l’exploitation de l’atelier (risques donc, rétroactifs).
Henri Maubert ne le dit pas, mais il en a gros sur la patate. Selon lui, les marges de sécurité imposées lors de l’exploitation était telles que jamais cette marge n’a été véritablement entamée même dans la boite avec le maximum de «poudre de plutonium en trop, soit un kg». Il souligne que ces marges sont très larges «même lors de l’incident de 2006, lorsqu’une erreur a conduit à doubler la charge de plutonium d’un broyeur, on était loin de la masse critique». Autrement dit, toutes les spéculations sur un risque d’explosions nucléaires, agitées par exemple par Yves Cochet, mais aussi évoquées par le communiqué de l’ASN lui semblent farfelues.
A l’évidence, l’ASN sait cela. A l’évidence, elle connaissait l’histoire depuis juin dernier. Pourquoi, alors un communiqué aussi «dur», s’interroge Maubert. C’est que l’ASN doit prouver qu’elle joue son rôle de gendarme du nucléaire. Quitte parfois, à déclencher une tempête dans une boite à gants.
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