Bienvenue sur mon blog qui entend traiter de la politique et des politiciens. Actualisé chaque jour, ce blog vous fournira un maximum d'articles, opinions, pensées traitant de l'actualité politique française
Voilà un dénonciateur russe qui réveille une peu reluisante tradition française : celle de la délation couperet. Pendant la Révolution, Jacques-René Hébert publiait une feuille de dénonciation émaillée de jurons, le Père Duchesne, mélange de vrai et de faux, d’arguments et d’insultes, qui envoyait souvent à la guillotine les victimes de ses diatribes. Ainsi a fait ce Père Duchesne au petit pied, qui a mis en ligne une vidéo sexuelle attribuée à Benjamin Griveaux, ce qui a fait tomber symboliquement dans le panier la tête du candidat. Procédé d’une rare bassesse que rien ne saurait justifier.
Le délateur invoque «l’hypocrisie»du leader macronien. S’il fallait se débarrasser de tous les élus coupables d’écarts dans leur vie privée – quoi qu’on pense de ces écarts –, la vie publique se changerait vite en désert. La haine de «l’oligarchie» semble désormais autoriser les coups de Jarnac les plus infâmes.
On dit que la vie politique française s’américanise. Plusieurs leaders furent victimes de ce genre de révélation crapoteuse aux Etats-Unis. Gary Hart, candidat démocrate à la présidence dans les années 1970, fut le plus célèbre. L’exposition médiatique de sa liaison avec une certaine Donna Rice lui coûta sa carrière. John Kennedy, Dwight Eisenhower pendant la guerre ou encore Bill Clinton échappèrent à ce sort funeste, soit qu’ils bénéficiaient de la discrétion des journalistes, soit, comme dans le cas Clinton, qu’ils firent front avec succès.
Mais, en France aussi, tous les présidents depuis Pompidou ont été attaqués sur leur vie privée, de manière plus ou moins oblique, même si le scrupule des médias «mainstream» – quoique désormais entamé – leur a évité de succomber à l’opprobre.
La différence tient aujourd’hui à la vitesse destructrice des réseaux sociaux, dont les démocraties n’ont toujours pas maîtrisé les effets pervers et ravageurs. La dénonciation de Griveaux repose sur une illégalité. Mais la justice, si elle est saisie, statuera au mieux dans plusieurs mois. En attendant, l’exécution du candidat à l’aide d’une guillotine numérique donne une idée désastreuse du processus électoral, qui fait écho aux décapitations symboliques prisées par certains gilets jaunes, aux agressions contre les élus ou leurs permanences, aux insultes «hébertistes» proférées envers Brigitte Macron.
La violence verbale inonde l’univers sans loi des réseaux, et dans les algorithmes la mauvaise monnaie de la communication tend sans cesse à chasser la bonne. A quelque chose malheur sera-t-il bon ? L’affaire Griveaux devrait être le point de départ d’une prise de conscience générale et d’une réflexion collective. L’abolition de la distinction entre vie publique et vie privée n’est pas un progrès de la transparence dans le débat. C’est un recul de la civilisation.
A écouter sur Libération.fr, le premier épisode de notre podcast «le Grand Entretien», avec Nicolas Hulot. L’ancien ministre de l’Environnement évoque son avenir politique et revient sur la nécessité d’adapter le modèle économique mondial à la crise climatique.
N’en jetez plus, la cour démocrate est pleine… Michael Bloomberg, septième fortune mondiale, se lance à son tour dans la course à l’investiture. Fondateur d’un puissant groupe de médias, Bloomberg, 77 ans, qui fut aussi maire de New York, estime que les Etats-Unis ne peuvent pas se permettre «quatre années supplémentaires d’actions immorales et irréfléchies de la part de Donald Trump». Ce n’est guère que le XIXe candidat déclaré. Jusque-là, le tycoon de la presse n’avait pas voulu gêner Joe Biden, qui reste en tête des intentions de vote. Son annonce traduit le doute qui saisit le parti sur les chances de l’ancien vice-président de Barack Obama. Elle reflète tout autant le dilemme devant lequel se trouvent les démocrates.
Plusieurs candidats ou candidates ont renouvelé le discours de la formation de Franklin Roosevelt et de John Kennedy. Elizabeth Warren, Bernie Sanders et quelques autres ont attaqué de front deux tares de la société américaine, accentuées de manière outrancière par Trump : les inégalités criantes entre Américains, l’inquiétant retard pris par Washington dans la lutte contre le changement climatique. Vu d’Europe, ces candidatures vont de soi. Warren et Sanders avancent des projets de réformes qui ont été mises en œuvre depuis des lustres sur le Vieux Continent : un système de santé universel, une fiscalité redistributive, des mesures sérieuses dans le domaine environnemental.
Seulement voilà : les Etats-Unis sont un monde à part. Warren et Sanders seraient classés au centre gauche en Europe ;ilssont à la gauche de la gauche sur l’échiquier américain. L’individualisme yankee, allié à une méfiance congénitale envers le gouvernement fédéral, risquent de détourner une partie de l’électorat démocrate vers Trump ou vers l’abstention si l’un des deux candidats socialisants l’emporte dans les primaires. Ce cas de figure s’est plusieurs fois reproduit au cours de l’histoire américaine. Dans les années 50, un intellectuel progressiste hautement respectable, Adlaï Stevenson, situé sur la gauche du parti, avait concouru deux fois à la présidentielle. Deux fois, il a été battu par Dwight Eisenhower, républicain modéré. C’est en choisissant une posture plus centriste que John Kennedy l’avait emporté – de très peu – en 1960 face à Nixon. En 1972, un autre progressiste, George McGovern, soutenu par la gauche démocrate et par une grande partie de la jeunesse, avait été écrasé par le sortant Richard Nixon. Plus tard, Bill Clinton, puis Barack Obama, l’ont emporté sur une ligne centriste.
Angoissante alternative. Gagnant les primaires, Sanders ou Warren, dont le programme est de loin le plus pertinent (aux yeux des progressistes en tout cas), risquent de favoriser la réélection de Trump en novembre. D’où le discours plus modéré de Biden, du jeune maire Buttigieg, qui effectue une percée dans les sondages, et maintenant de Bloomberg, qui compte sur son expérience, sur son argent et sur son engagement écologique pour faire barrage à Donald Trump, quitte à défendre un projet nettement plus centriste.
Les deux premiers ontcomprisl’aspirationd’une partie des Américains à plus de justice sociale et à un engagement plus fort pour le climat. Leurs concurrents centristes plaident le réalisme politique et jouent la carte du «tout sauf Trump ». Les stratèges démocrates – et surtout les électeurs des primaires – devront trancher entre deux paris : attaquer drapeau au vent en risquant la chute ; baisser pavillon dans l’espoir de rallier une majorité au centre. Perdre avec des idées ou gagner sans idées.
Certes on peut aussi espérer que des propositions nouvelles séduisent finalement les Américains et que les progressistes, pour une fois, allient cœur et raison, audace et efficacité électorale. A condition de ne pas faciliter la tâche de Trump.
Bravache, péremptoire, le président américain a décidé de ne rien lâcher. Pris la main dans le sac, accusé de manœuvres délictueuses visant à fausser le processus électoral, menacé par les procédures des démocrates, il refuse de collaborer à l’enquête lancée au Congrès. Avec force rodomontades, il estime qu’il doit défendre les prérogatives de l’exécutif et affirme qu’il n’a de comptes à rendre qu’aux électeurs américains. Donald Trump dans ses œuvres ? Non : Richard Nixon.
Nous sommes en 1973. Depuis de longs mois, le scandale du Watergate domine la vie politique des Etats-Unis. Pendant la campagne électorale de 1972, une équipe de cambrioleurs est arrêtée pour avoir pénétré le QG démocrate situé dans l’immeuble du Watergate. Deux journalistes du Washington Post, Bob Woodward et Carl Bernstein, démontrent que cette équipe est liée à la Maison Blanche. La justice et le Congrès s’emparent de l’affaire, une foule de révélations mettent en cause les méthodes des proches de Nixon.
Quand les élus et les magistrats apprennent que le Président faisait enregistrer les conversations tenues dans le Bureau ovale, ils exigent la communication des bandes. Nixon refuse au nom du «privilège de l’exécutif», puis il destitue le procureur spécial Archibald Cox chargé de l’enquête : le scandale prend encore de l’ampleur. Au bout d’une longue bataille juridique, Nixon est contraint de transmettre les bandes au Congrès, sans pouvoir expliquer pourquoi certains passages ont été effacés.
Difficile de ne pas faire le parallèle avec l’affaire qui met en cause Donald Trump. Dans les deux cas, il s’agit de combattre des adversaires politiques par des moyens obliques ou illégaux. Dans les deux cas, la Maison Blanche récuse les enquêtes menées contre elle et invoque la souveraineté populaire pour s’affranchir du contrôle exercé par les élus. Trump a bien demandé au président ukrainien de l’aider à discréditer Joe Biden, alors considéré comme son adversaire le plus dangereux, de même que Nixon a bien cherché à couvrir les agissements de ses conseillers qui voulaient se renseigner illégalement sur ses adversaires.
Mais les différences entre Nixon et Trump sont également patentes. Certains diront même que les deux affaires n’ont rien à voir. Quand le contenu des bandes a été connu, l’opinion américaine a été choquée de la brutalité des propos tenus et du cynisme dont font preuve Nixon et ses conseillers. Cette brutalité et ce cynisme s’étalent tous les jours dans les tweets de Trump sans que l’opinion en soit alarmée plus que cela. Au fur et à mesure des révélations, la cote de Nixon s’est effondrée, y compris dans l’électorat républicain. Celle de Trump est toujours solide et son camp reste soudé derrière lui. Quand Nixon a refusé de coopérer à l’enquête et quand il a destitué les responsables qui le menaçaient, le scandale a redoublé. Trump a interdit à son administration de collaborer avec les enquêteurs, après s’être débarrassé sans cérémonie des officiels qui pouvaient le gêner, sans provoquer d’indignation au-delà des cercles démocrates. De toute évidence, les défenses immunitaires de la démocratie américaine se sont dangereusement abaissées.
Et quand la menace d’une destitution a pris de la consistance, Richard Nixon a jeté l’éponge et quitté la Maison Blanche. Quel que soit le destin de la procédure d’impeachment enclenchée par les démocrates, les chances de voir Trump l’imiter sont pratiquement nulles. Sous ce rapport, en effet, les deux affaires n’ont rien à voir. C’est bien ce qui doit nous inquiéter.
ÉDITOUnetrahison. Il n’y a pas d’autre mot pour qualifier l’attitude de Donald Trump à l’égard de ses alliés kurdes. On ne sait si le retrait américain de la zone frontalière sera confirmé : cette perspective rencontre une forte opposition au sein de l’administration américaine. Mais l’intention du Président n’est pas douteuse : il veut abandonner les Kurdes à leur sort.
Rappelons-nous. Quand les alliés ont voulu empêcher les terroristes de l’Etat islamique de s’installer dans leurs terres de conquête, il a fallu trouver des soldats capables d’affronter les islamistes sur le terrain. Les puissances occidentales ne souhaitaient pas déployer des troupes au sol, en dehors de quelques centaines de combattants des forces spéciales : elles se sont tournées vers les Kurdes. Dans leur intérêt, bien sûr, mais aussi dans celui des Occidentaux, ces soldats courageux se sont retrouvés en première ligne. C’est en grande partie grâce à leur abnégation et à leur efficacité que les enclaves créées par Daech sont tombées une à une.
Et voici que pour toute reconnaissance, les Etats-Unis, mollement désapprouvés par les Européens – notamment les Français, pourtant proches des Kurdes -, envisagent très sérieusement d’abandonner purement et simplement leurs alliés aux coups de l’armée turque. Cynisme et double jeu : tels sont les principes qui gouvernent cette trahison annoncée. Nulsimplismedansce diagnostic. On sait que la Turquie, depuis des lustres, redoute plus que tout la constitution d’un embryon de Kurdistan autonome à sa frontière, qui servirait de point d’appui et de référence à la forte minorité kurde présente sur son sol. Mais cette affaire complexe est justiciable d’une négociation entre les parties, qui assurerait la sécurité de nos alliés. On prévoit la désertion. Elle resterait comme une tache sur l’honneur des démocraties.
Nouvelle tension à Hongkong : les partisans de la démocratie protestent contre l’interdiction du port du masque dans les manifestations que Carrie Lam, la marionnette de Pékin qui gouverne l’archipel, se dispose à promulguer. Les manifestants masquent leur visage pour éviter d’être identifiés : la mesure a de toute évidence un but répressif.
Exotique en apparence, le conflit qui oppose la Chine populaire dictatoriale et les habitants de Hongkong attachés aux libertés publiques a néanmoins une résonance très proche : il vient illustrer le débat qui se développe en France – et en Europe – autour de l’universalisme des droits de l’homme. Un courant «zemmourien» estime que le «droit-de-l’hommisme», selon le vocabulaire en vigueur dans ces parages, menace l’identité traditionnelle du pays en accordant trop de droits à l’individu et pas assez à la communauté nationale, qui doit défendre «sa culture et son mode de vie». Symétriquement, l’extrême gauche «décoloniale» tient les principes républicains pour un paravent commode de la domination «blanche» et une hypocrisie «post-coloniale». Ironie de l’actualité : l’exemple de Hongkong, quoique lointain, fait voler ces deux thèses en éclats.
Arrachée naguère à la Chine par la force, l’enclave de Hongkong est le type même de la création coloniale, restée sous le contrôle de la métropole britannique, telle un «confetti de l’Empire», jusque dans les années 1980. Si la logique identitaire était si naturelle, si puissante, si légitime, les Hongkongais auraient dû se réjouir de leur rattachement «décolonial» à la Chine. Curieusement, il semble bien qu’ils tiennent, comme à la prunelle de leurs yeux, à l’héritage laissé par la puissance coloniale. La Chine libérée au XXe siècle de l’emprise occidentale a même dû le reconnaître, en acceptant la devise consacrée au moment du retrait britannique : «un seul pays, deux systèmes».
Pour une raison toute simple : quoique de culture évidemment chinoise, les habitants de Hongkong estiment que les principes universels de liberté doivent les protéger du pouvoir dictatorial qui sévit en Chine. C’est quand le régime de Pékin a donné le sentiment de vouloir porter atteinte au système judiciaire hérité de l’Empire britannique qu’ils sont descendus dans la rue. Autrement dit, la liberté leur tient plus à cœur que l’unité nationale prônée par le gouvernement de Xi Jinping. Quoique culturellement issus de la civilisation chinoise millénaire, ils préfèrent obéir aux lois d’origine occidentale qui garantissent leurs droits individuels : ils placent la liberté au-dessus de l’identité. Voilà un paradoxe sur lequel les tenants d’une politique identitaire, qu’on trouve sous des formes différentes à l’extrême droite et à l’extrême gauche, devraient réfléchir quelques instants. Les hommes et les femmes sont attachés à leurs racines, certes. Mais à Hongkong comme ailleurs, dès qu’il s’agit de leur liberté, ils se battent au nom de l’universalisme.
Il voulait passer le Rubicon : il est tombé dedans. Matteo Salvini, ce sous-César numérique et barbu, qui a gagné non la guerre des Gaules mais celle de Twitter, pensait provoquer des élections en détruisant la coalition qu’il avait lui-même montée un an et demi plus tôt. Las ! Dans un réflexe de survie, la démocratie italienne a sorti de son chapeau une de ces combinazione dont elle a le secret. Plutôt que de retourner aux urnes prématurément, les partis inquiets du succès de la Ligue se sont brusquement rabibochés pour maintenir le président du Conseil, Giuseppe Conte, en place et pour constituer une nouvelle majorité parlementaire. Du coup, celui qui croyait s’emparer de tous les pouvoirs n’en a plus aucun, sinon le ministère de la parole qui désormais tourne à vide. Veni, vidi… pschitt.
Certes, l’alliance des sociaux-démocrates et des Cinq Etoiles est celle de la carpe et du lapin, sans qu’on sache encore si c’est la carpe qui a sauté hors de l’eau ou le lapin qui a enfilé un scaphandre. La peur de perdre a scellé cette coalition, et non une quelconque convergence programmatique. On dira que cet emplâtre ne saurait tenir, que Conte ne pourra pas gouverner longtemps, que Salvini dans l’opposition aura tout loisir de déployer en grand sa démagogique éloquence, que c’est finalement reculer pour mieux sauter, à la prochaine échéance, dans une sorte de fascisme soft et légal dominé par la Ligue, avec quelques supplétifs post-mussoliniens ou berlusconiens.
C’est oublier une réalité maintes fois démontrée : en politique, il faut saisir sa chance quand elle passe. Salvini a vu passer la sienne ; il n’a pas su l’attraper. L’histoire repasse rarement les plats. Grâce à une manœuvre sans gloire, ses adversaires ont évité le pire et gagné du temps – trois ans selon la Constitution. La tâche est ardue, l’attelage hautement incertain. Mais enfin, il vit.
Dans ces circonstances, l’Europe tient en main les cartes décisives. Si enfin lui vient un début de sens politique, elle aidera de tout son possible la nouvelle majorité italienne. En desserrant la contrainte budgétaire qui gêne le gouvernement italien, en proposant des projets communs, en prenant résolument en charge la question des migrants de la Méditerranée qui alimente sans cesse la popularité de la Ligue. Bref, en faisant sentir aux classes populaires italiennes, soutien de Salvini, que Bruxelles se soucie d’elles, que l’Union n’est pas la mère fouettarde qu’on croit, qu’elle peut aussi aider, favoriser, protéger les peuples qu’elle est censée unir. Pour Bruxelles, ce n’est pas une affaire de calculs, de raisonnements macroéconomiques ou de principes monétaires. C’est une question de survie.
TRIBUNE. La multiplication des offensives américaines soulève une série de questions sur leur lisibilité, leur cohérence et leur impact macroéconomique mondial.
Spécialiste d’économie internationale, ancien de la rue d’Ulm et de l’ENA, Jean-François Boittin a mené les équipes françaises pendant les négociations de l’Uruguay Round, jusqu’à la création de l’OMC, puis dirigé les équipes économiques des ambassades de France à Washington et Berlin. Installé à Washington, consultant, collaborateur du CEPII, il analyse régulièrement pour « l’Obs » les décisions internationales prises par Donald Trump.
Le président Trump avait affiché la couleur via son mode de communication favori, un jour après l’annonce du relèvement des droits de douane américains sur l’acier et l’aluminium à 25 et 10% : « Les guerres commerciales sont une bonne chose, et se gagnent facilement. » Pour l’instant, aucune victoire ne se profile à l’horizon qui justifierait cette affirmation, mais le président américain et son administration multiplient l’ouverture des fronts : si l’Union européenne et les Etats-Unis ont conclu une trêve, bienvenue, mais dont la solidité est par ailleurs douteuse, le conflit commercial avec le Chine s’envenime et surtout la semaine dernière a vu le lancement de trois offensives contre l’Iran, la Russie et la Turquie, un cocktail surprenant qui rassemble un ennemi héréditaire, l’Iran, un partenaire courtisé par le président, la Russie de Vladimir Poutine, et un pays allié au sein de l’Otan.
L’attaque contre l’Iran, après la sortie de l’accord nucléaire négocié par l’équipe précédente –et honnie –, était attendue et constitue une première phase de sanctions avant une deuxième vague prévue pour novembre. Depuis le 7 août, toute transaction avec l’Iran en dollars, or ou en métaux précieux, mais aussi l’importation d’acier, d’aluminium, de charbon sont interdites, de même que les exportations d’aéronefs ou d’automobiles. L’exportation par l’Iran de tapis ou de pistaches aux Etats-Unis n’est plus possible.
La Russie accusée
Les sanctions annoncées par le département d’Etat contre la Russie représentent en revanche une surprise. Les autorités américaines avaient expulsé un certain nombre de diplomates russes après l’attaque contre Sergei Skripal et sa fille avec un gaz neurotoxique au Royaume-Uni sans invoquer pour autant la loi pour l’élimination et le contrôle des armes biologiques et chimiques (« CBW Act »).
Le département d’Etat a, le 9 août, invoqué cette loi pour mettre en place une première série de sanctions contre la Russie, interdisant l’exportation de technologies à possible usage militaire. Ces sanctions prendront effet le 22 août. Plus grave : si la Russie ne fournit pas, sous 90 jours, des preuves tangibles de sa renonciation à l’utilisation de ces armes, et n’autorise pas l’inspection de ses facilités de production par des inspecteurs des Nations unies – ce qui est peu vraisemblable –, la loi CBW impose des mesures autrement draconiennes : réduction du niveau des relations diplomatiques entre les deux pays, fermeture du territoire américain à Aeroflot. De manière significative, le président n’a fait aucun commentaire sur le sujet et n’a pas démenti le porte-parole du département d’Etat, qui avait cru bon de souligner « l’unité » de l’administration sur le sujet. Il est difficile cependant de ne pas croire que la mesure prise l’a été par l’entourage du président et une équipe diplomatique de « babysitters » dont les efforts pour encadrer ses humeurs par exemple pendant le sommet de l’Otan sont décrits par les journalistes du « New York Times ».
La prise d’otage d’un pasteur
En ce qui concerne la Turquie, le président est à la manœuvre. Indépendamment des sujets de crispation récurrents (du côté américain, achat de missiles sol-air russes par Ankara, du côté turc, soutien américain aux milices kurdes en Syrie), c’est la prise en otage d’un pasteur évangélique qui a mis le feu aux poudres. Andrew Brunson est accusé de complicité dans le coup d’Etat contre le président Erdogan, mais il est facile d’imaginer qu’il est un pion que la Turquie souhaite échanger contre Gülen, dont elle demande l’extradition depuis l’échec du putsch.
Le sujet est sensible pour la base évangélique du président Trump. Sortant de l’ordinaire parce que visant deux ministres d’un allié des Etats-Unis au sein de l’Otan, les sanctions prises contre le ministre de la Justice et le ministre de l’Intérieur seraient restées anecdotiques si la rhétorique déployée de part et d’autre n’avait envenimé la situation à un moment de fragilité de la situation économique en Turquie et de faiblesse de la monnaie turque. L’annonce par tweet présidentiel du doublement des droits de douane sur l’acier et l’aluminium exportés par la Turquie, à 50 et 20% respectivement, a précipité l’effondrement de la lire turque (15% vendredi 10 août, 40 % depuis le début de l’année).
La multiplication des offensives américaines soulève une série de questions sur leur lisibilité, leur cohérence et leur impact macroéconomique mondial :
Lisibilité : fait du prince, le doublement des droits sur l’acier et l’aluminium turcs est justifié par l’administration comme nécessaire pour des raisons de sécurité nationale, le paravent déjà utilisé pour prendre des mesures « erga omnes » et qui apparaît de plus en plus comme un outil de pur arbitraire.
Cohérence en termes de politique étrangère comme de politique économique. Alors que la pression sur l’Iran, pour être efficace, nécessite la mise en place d’une coalition internationale, les mesures américaines incitent leurs cibles à serrer les rangs, comme en témoigne l’accord sur la Caspienne, ou les échanges entre Erdogan et Poutine. Le président Trump ne manque pas de saluer comme des victoires la mauvaise performance de l’économie iranienne – ou chinoise –, et la dépréciation de la monnaie iranienne ou de la lire turque, oublieux de la contradiction évidente entre son souci d’améliorer la balance commerciale américaine et le renchérissement du dollar : celui-là même qui décriait il y a un mois la politique de dévaluation monétaire de l’Europe salue le dollar « fort », alors que la crainte de la contagion turque sur les banques européennes fait perdre 1% à l’euro en un jour.
Impact macroéconomique : la Turquie est dans une position fragile, mais n’est pas seule. De nombreux pays émergents sont vulnérables, à des degrés divers, à un renchérissement du dollar, inévitable compte tenu de la politique budgétaire américaine, et aggravé par des crises internationales. Les Etats-Unis ont toujours joué le rôle de leader lors des crises internationales. Le voudront-ils en cette période d’ »America First » ? Le voudraient-ils, en auraient-ils les moyens ? La fin de semaine dernière offre un précédent inquiétant. Pendant que les pompiers du Treasury s’efforçaient d’éteindre l’incendie turc en prodiguant quelques conseils, des plus classiques au demeurant, le pyromane en chef versait consciencieusement de l’huile sur le feu.