C’est une loi d’airain du débat public. Tout fait divers débouche immanquablement sur une polémique sur le laxisme de la justice. Et quand le fait divers concerne un policier et déclenche la grogne des syndicats de force de l’ordre, on débouche sur la semaine de débats furieux à laquelle on vient d’assister. Désintox a tiré de la mêlée huit affirmations fausses ou caricaturales. Dans les deux camps.
1) «Les peines ont augmenté ces dernières années»
Cécile Duflot, le 14 octobre sur France Inter
La justice laxiste ? Que nenni, affirme Cécile Duflot au micro de France Inter : «On ne peut pas dire que les policiers en ont assez de courir après les délinquants que les magistrats relâchent prématurément. Pour une raison très simple, que les peines ont augmenté en France ces dernières années. Il y a énormément de monde en prison, aujourd’hui, dans notre pays.»
Contactée par Libération, Cécile Duflot précise que les «peines» faisaient en fait allusion au «nombre de détenus, qui a augmenté depuis 2012».
Ce qui est à la fois vrai, et faux. Il y a effectivement eu (en tendance) une augmentation du nombre de détenus pendant les deux premières années du mandat de François Hollande, jusqu’à atteindre un pic de 68 648 détenus (prévenus et condamnés) en mai 2014. Mais depuis, cette courbe-là s’est inversée. Au 1er septembre 2015, la population carcérale se chiffrait à 65 544 détenus.


La tendance depuis un an est donc plutôt à la baisse. Même s’il est difficile de dire avec la droite que c’est la conséquence des réformes de Christiane Taubira. Contrairement à ce qu’affirment souvent les opposants à la garde des Sceaux, les personnes écrouées en aménagement de peine (non détenues, donc) sont également en baisse depuis un an.

2) Christiane Taubira a facilité l’évasion de 236 détenus en permission, soit près d’un par jour, depuis le début de l’année
La grande évasion ? Deux cent trente-six détenus ont décidé de se faire la belle après une permission de sortie depuis le 1er janvier. Et RTL a ainsi calculé que cela aboutissait à «presque une évasion par jour depuis début 2015».
Les détracteurs de Christiane Taubira n’ont pas tardé à s’emparer de ce chiffre. Le site Boulevard Voltaire, créé par l’ex-président de Reporter sans frontière et maire de Béziers, Robert Ménard, aujourd’hui proche du FN, écrit par exemple que Taubira a «facilité cette année la fuite» de ces 236 détenus. Le sénateur Les Républicains (LR), Alain Houpert, juge sur Twitter que ces «évasions en série fragilisent la Chancellerie».
Ce nombre d’évasions suite à des permissions pour les détenus est pourtant loin d’être exceptionnel. Au 7 octobre, elles représentent un peu moins de 0,6 % des quelque 40 000 permissions accordées depuis le 1er janvier (toujours selon les chiffres de RTL). Un chiffre équivalent à ceux de 2011, lorsque Rachida Dati, ex-UMP et aujourd’hui députée européenne LR, était ministre de la Justice, et de 2012.
Par ailleurs, la législation en vigueur concernant les permissions de sortie date de 2004. La loi du 9 mars, portée par le garde des Sceaux de Jacques Chirac, Dominique Perben, inscrivait à l’article 723-3 du Code de procédure pénale la possibilité pour «un condamné [de] s’absenter d’un établissement pénitentiaire pendant une période de temps déterminée». Taubira n’y a pas touché depuis son arrivée à la Chancellerie, en 2012. En outre, le nombre de permissions accordées chaque année a plutôt baissé sous le quinquennat de François Hollande. En 2013, on comptait par exemple 55 302 permissions accordées, contre une moyenne légèrement supérieure à 58 000 sur les années Sarkozy.
3) «Dans aucune autre démocratie vous ne trouverez un juge d’application des peines (JAP) qui peut dénaturer la peine prononcée initialement par tribunal… Aujourd’hui, vous avez un tribunal qui prononce deux ans de prison et le lendemain le JAP qui la change en un travail d’intérêt général (TIG), un bracelet électronique.»
Georges Fenech, député LR du Rhône, secrétaire national Les Républicains en charge de la justice, sur LCP
On peut être magistrat comme l’est Georges Fenech et verser dans la caricature pour mieux illustrer son propos. Car, non, un JAP ne peut pas transformer deux années de prison ferme en quelques heures de TIG.
Le juge d’application des peines peut bien décider de convertir des peines en travail d’intérêt général ou en jours-amendes, mais si celle-ci est inférieure ou égale à six mois, comme le prévoit l’article 132-57 du Code pénal. Contrairement à ce qu’affirme Fenech, une peine de deux ans de prison ne pourra donc pas être convertie en TIG.
En revanche, cette peine de deux ans pourra bien être aménagée en semi-liberté ou port d’un bracelet électronique (comme prévu à l’article 723-15 du code pénal), à la condition que le condamné ne soit pas récidiviste. «Pour un récidiviste, la peine ne doit pas être supérieure à un an» explique Jean-Claude Bouvier, coordinateur du service de l’application des peines de Créteil.
Enfin, l’emploi par Georges Fenech du terme «aujourd’hui» est assez trompeur, en ce qu’il suppose que l’état de fait qu’il déplore résulte de la politique pénale actuelle. Là encore, le cadre législatif (loi du 9 mars 2004, dite «Perben II», et loi pénitentiaire du 24 novembre 2009) qui fixe les seuils à partir desquels on peut convertir ou aménager une peine a été mis en place sous des gouvernements de droite.
4) «Aujourd’hui, un récidiviste est traité comme un primo-délinquant !»
Jean-Claude Delage, secrétaire général d’Alliance, sur Itélé
Evoquant la suppression des peines planchers, Jean-Claude Delage, secrétaire général du droitier syndicat de police Alliance (et qu’on avait accessoirement retrouvé à Marseille sur la liste municipale de l’UMP Jean-Claude Gaudin) dénonce le fait que désormais, un récidiviste est traité comme un primo-délinquant.
Le dispositif des peines planchers, torpillé depuis l’élection de François Hollande, et que regrette Jean-Claude Delage, visait à infliger une peine minimum aux délinquants en situation de récidive. Une peine qui n’était pas aussi automatique qu’on le dit. En effet, des dérogations permettaient aux magistrats de s’en affranchir. Liberté dont ils ont usé. Si les peines planchers ont indéniablement abouti à un alourdissement des peines, elles n’ont été appliquées, en 2010, que dans 38 % des cas où elles auraient pu l’être, selon les statistiques du ministère de la Justice.
La suppression des peines planchers – qui n’étaient donc pas aussi automatiques qu’on le dit – ne signifie pas que les récidivistes sont désormais traités comme des primo-délinquants. «Ce n’est pas du tout le cas, réagit Laurence Blisson secrétaire générale du Syndicat de la magistrature. La règle selon laquelle un récidiviste doit se voir appliquer une peine minimale a disparu. Mais la règle selon laquelle la peine encourue en cas de récidive est doublée demeure. Et dans les faits les récidivistes sont condamnés plus lourdement, ne serait-ce que parce qu’ils ont un casier judiciaire, et que les antécédents sont évidemment pris en compte dans la sévérité de la peine».
En revanche, la réforme Taubira a mis un terme au régime spécifique des récidivistes concernant les réductions de peines et la liberté conditionnelle. Désormais, les récidivistes peuvent bénéficier des mêmes crédits de réduction de peine que les autres condamnés (soit trois mois pour la première année, deux mois pour chaque année suivante, au lieu de deux mois pour la première année et un mois pour les suivantes auparavant). De même, alors qu’ils devaient attendre d’avoir purgé deux tiers de leur peine pour bénéficier de la liberté conditionnelle, ils peuvent aujourd’hui y prétendre après avoir purgé la moitié de leur peine, comme les autres non récidivistes.
5) «Les peines planchers ont fait augmenter la récidive»
Dans le vrai-faux de la contrainte pénale, sur le site du ministère de la Justice
Restons dans le domaine des peines planchers et de l’intox, mais basculons dans l’autre camp. Avec cette affirmation qui figure (ironie) dans un article du ministère de la Justice censé démêler le vrai du faux au sujet de la contrainte pénale.

La progression de la récidive évoquée par ce document correspond à l’augmentation de la récidive «légale». Une notion juridique précise, qui se limite aux cas où un délinquant commet dans les cinq années une infraction de même nature, encourant une aggravation de la peine. Depuis 2000, le nombre des cas de récidive légale augmente de manière continue. Les chiffres bruts ne prêtent pas à contestation.
C’est leur interprétation qui pose problème. Notamment parce que ces chiffres traduisent l’évolution de la définition même de récidive légale. Celle-ci ne se limite pas aux délinquants commettant la même infraction, elle s’applique aussi à ceux commettant une seconde infraction, dite «assimilée» à la première. Or, le législateur a tendance à assimiler de plus en plus les infractions entre elles… ce qui élargit le champ de la récidive légale et gonfle les stats. En 2003, les délits routiers ont été assimilés entre eux. En 2005, les délits de violences volontaires sur personnes l’ont été avec tout délit commis avec la circonstance aggravante de violence. La même année, la loi a prévu de prendre en compte dans la récidive les condamnations prononcées dans un autre Etat de l’Union européenne.
Dans le même temps, les statistiques ont été tirées à la hausse par l’évolution des pratiques des tribunaux. Ces dernières années, plusieurs lois (dont celle sur les peines planchers de 2007) ou circulaires ont eu pour objet de systématiser l’enregistrement de la récidive légale par les magistrats. Or, le fait que la récidive soit plus scrupuleusement relevée ne signifie pas qu’il y a davantage de récidivistes.
Au total, comme l’explique un bulletin statistique du ministère, les chiffres bruts ne sont donc pas signifiants : «L’évolution [de la récidive légale] ne reflète pas une explosion de la récidive au sens criminologique, elle s’explique davantage par les changements législatifs ainsi que par les pratiques des juridictions qui enregistrent de façon plus systématique la récidive.»
D’ailleurs, il fut un temps (en 2013, à l’occasion d’un débat face à Christian Estrosi) où Christiane Taubira reconnaissait parfaitement les raisons de cette inflation. Elle expliquait que l’augmentation de la récidive légale correspondait à un «accroissement de l’activité des juridictions» et était due à «la modification du périmètre» par les gouvernements de droite.
C’est dommage de l’oublier un an plus tard. A fortiori quand on se prête à l’exercice «du vrai-faux».
6) «Un condamné à du sursis avec mise à l’épreuve récidive (SME) deux fois moins souvent qu’un condamné à de la prison ferme»
Dans les chiffres clés de la chancellerie
En matière d’intox gouvernementale et de récidive, difficile de ne pas mentionner aussi cette affirmation qui figure dans les derniers chiffres clés du ministère de la Justice. On y lit un paragraphe suggérant que les peines alternatives à la prison ferme sont le meilleur moyen de lutte contre la récidive. Chiffres (spectaculaires) à l’appui :

Ainsi, les condamnés à de la prison ferme retournent deux fois plus derrière les barreaux que ceux ayant été condamnés à du sursis avec mise à l’épreuve ? Oui, mais…
Les chiffres proviennent d’une enquête réalisée dans le Nord en 2005 sur une cohorte de personnes condamnées en 1996. On retrouve dans ce tableau quelques résultats de cette enquête :

On voit également que le taux de recondamnation en général (et plus seulement à une peine de prison ferme) obéit a priori à la même règle : le taux de «récidive» est nettement plus important pour les sortants de prison (72 %) que pour les personnes ayant bénéficié du sursis avec mise à l’épreuve (52 %).
Mais voilà, cela ne suffit pas à établir un lien de causalité entre la nature de la peine et la récidive comme le suggère le ministère. On peut imaginer que les condamnés à des peines alternatives récidivent moins que les autres pour d’autres raisons que la nature de leur peine. On peut aussi imaginer que les juges les ont condamnés à des peines alternatives précisément parce qu’ils présentaient des risques de récidive inférieurs.
Le ministère semble conscient de ces biais, mais les balaie en affirmant que leur prise en compte par les études aboutit à «des conclusions qui vont dans le même sens et affirment que les peines alternatives sont effectivement plus efficaces que la prison pour prévenir la récidive». Fort bien. Pourquoi alors ne pas mentionner les études en question et leurs conclusions ?
Il aurait simplement suffi de publier la suite de l’enquête citée par le ministère, qui est précisément une des rares (sinon la seule) à essayer de gommer les biais évoqués. Dans un article se référant à l’étude en question, Pierre Victor Tournier, un de ses auteurs, explique clairement qu’il faut se méfier des résultats bruts et des interprétations hâtives. Notamment parce que le passé judiciaire des condamnés étudiés varie énormément selon la nature de la sanction : parmi les condamnés au sursis simple, 86 % sont sans condamnation antérieure. Le pourcentage tombe à 50 % pour les sursis avec mise à l’épreuve. Et seulement à 29 % pour les sortants de prison. Or, le passé judiciaire est un déterminant de la récidive, ce qui peut concourir à expliquer en partie les différences dans les résultats observés.
L’enquête a donc tenté de neutraliser ces différences de profils, ce qui permet d’aboutir à des résultats qui vont bien «dans le même sens», comme le dit le ministère… mais avec des écarts bien moindres. En raisonnant avec des personnes de profils comparables, le taux de condamnation à l’emprisonnement ferme des personnes condamnées à du SME (52 %) est beaucoup plus proche de celui des sortants de prison (61 %). Même chose si on regarde le taux de recondamnation simple : les sortants de prison ont été 72 % à être recondamnés dans les cinq ans. Ils sont suivis de près par les condamnés à du SME (68 %) ou à du sursis simple (62 %).
Ces chiffres montrent toujours que la prison ferme débouche davantage sur la récidive que les peines non carcérales. Mais avec des chiffres nettement moins spectaculaires. Et plus honnêtes.
7) «Il faut supprimer les remises de peine automatiques pour que les délinquants, comme en Allemagne, se voient appliquer au moins les deux tiers de la peine prononcée»
Nicolas Dupont-Aignan, dans un communiqué
Comme dans toute polémique qui se respecte, on a aussi eu droit à l’exemple allemand… Nicolas Dupont-Aignan (reprenant déjà une proposition de loi qu’il avait déjà faite il y a quatre ans) souhaite que la libération conditionnelle ne soit possible pour les détenus qu’après deux tiers de leur peine, contre la moitié. «Comme en Allemagne», ajoute-t-il. Ce qui n’est pas tout à fait vrai. Effectivement, en Allemagne, la justice prévoit que les prisonniers effectuent une Zwei Drittel Strafe (une peine aux deux tiers) avant qu’un tribunal ne décide s’ils peuvent bénéficier d’une liberté conditionnelle. Ainsi une personne qui aurait été condamnée pour vol à effectuer trois ans de prison, peut en théorie sortir au bout de deux ans. Mais Nicolas Dupont-Aignan oublie d’apporter quelques précisions. Cette règle ne concerne, de manière systématique, que les récidivistes. Un détenu allemand condamné pour la première fois peut envisager une libération conditionnelle après avoir purgé la moitié de sa peine, si sa condamnation n’excède pas deux années.
8) «100 000 peines de prison ferme ne sont pas exécutées ! 100 000 parce qu’il manque des places de prison !»
Eric Ciotti sur Europe 1
Revoilà la tarte à la crème des 100 000 peines non exécutées pour déficit de places de prison. Désintox se penche régulièrement sur ce chiffre. La dernière fois, c’était en février pour une déclaration de Jean-Marie Le Pen, qui était un copié-collé de celle de Ciotti cette semaine.
Voilà ce que nous expliquions déjà : le chiffre correspond peu ou prou à la réalité. 2012, le ministère de la Justice comptait 99800 peines de prison ferme en attente d’exécution dans les tribunaux de grande instance ou les cours d’appel. Un chiffre qui n’a rien d’exceptionnel puisque depuis janvier 2011, les peines en attente d’exécution dépassent toujours les 92 000.
Mais il ne s’agit pas d’un stock de peines qui ne seront pas exécutées. Et ce n’est pas la surpopulation carcérale, par ailleurs bien réelle, qui paralyse leur exécution.
Les peines les plus courtes mettent souvent plusieurs mois avant d’être effectivement appliquées. D’où un stock de condamnations en attente de traitement qui «ne doit pas être considéré comme un volume inerte de peines « jamais exécutées »», soulignait une étude du ministère de la Justice en novembre 2013, mais relève du cours normal de la procédure pénale. Le juge estime en effet souvent qu’il n’y a pas urgence à incarcérer le condamné : selon la Chancellerie, un tiers seulement des peines d’emprisonnement ferme prononcées entraînent une incarcération le jour de l’audience. Dans ce cas, soit le prévenu est écroué à l’issue de sa comparution immédiate via un mandat de dépôt, soit il comparaît déjà détenu et est maintenu en détention après sa condamnation. Les 70 % des peines de prison restantes, les plus courtes, connaissent un délai de mise à exécution. Selon un rapport parlementaire de mai 2014, une peine sur deux est exécutée dans un délai de quatre à soixante mois, un cas extrême qui correspond au délai de prescription en matière correctionnelle.
Ces petites peines prennent plus longtemps à être traitées, car elles sont souvent susceptibles d’être aménagées. La plupart d’entre elles ne seront d’ailleurs jamais exécutées derrière les barreaux. Pour les peines inférieures à deux ans, la loi pénitentiaire de 2009 portée par Rachid Dati prévoit en effet la saisine d’un juge d’application des peines (JAP), qui peut décider d’un remplacement de la peine de prison par un aménagement de peine (travaux d’intérêt général, bracelet électronique, semi-liberté…). Une procédure qui peut durer plusieurs mois, en raison de l’engorgement des services de l’application des peines, qui manquent de personnel, pointait un rapport de 2009 de l’Inspection générale des services judiciaires sur les peines d’emprisonnement ferme en attente d’exécution.
D’autres facteurs peuvent enfin ralentir la mise à exécution des peines d’emprisonnement ferme, par exemple si le condamné doit être transféré vers une autre juridiction ou qu’il ne répond pas aux convocations de la justice et qu’il doit être recherché par la police. L’absence du condamné à l’audience concernait, selon le ministère de la Justice, environ un quart des peines non exécutées en 2012.
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